L’idée avait germé spontanément au sein du collectif, dès la deuxième saison du jardin partagé de Villetaneuse, en mai 2017 : face au surplus de fraises qui poussaient généreusement, autant les transformer en confitures. Après, ce fut l’engrenage, les sessions de confitures collectives se succédant au rythme des fruits de saison. Une fois (re)découvert le plaisir de la bonne confiture faite maison, mais aussi le plaisir de faire ensemble, on a souvent envie de recommencer au plus vite.
Ça tombe bien car des fruits, à Villetaneuse, il y en a partout. Certes, il faut être quelque peu observateur, parfois les fruitiers se cachent, isolés au milieu des friches, recouverts de plantes envahissantes, ou mélangés à d’autres arbres dans les petits coins de forêt. Pour bon nombre de ces fruitiers, il s’agit de vestiges du passé maraîcher – pas si lointain, 30-40 ans – de Villetaneuse, qui, comme beaucoup d’autres villes de banlieue était jonchée de terres agricoles et de vergers, avant que le béton ne recouvre quasiment tout. On trouve en outre beaucoup d’arbres et arbustes fruitiers au sein des jardins privatifs ou autour des parcelles des jardins ouvriers.
Progressivement, les sessions de confitures collectives sont devenues des activités incontournables et régulières du jardin, avec ce principe économique simple : de la cueillette à la transformation, on fait ensemble et on partage. Après les fraises, il y a eu les cerises, puis les groseilles, le cassis, les framboises, les prunes, les figues, les coings… Avec des quantités de fruits parfois impressionnantes et des véritables butins de confiture à se partager, dont une partie a pu être vendue pour financer les activités du collectif.
Chaque été, sont ainsi proposés 5 à 8 ateliers de confiture, ouverts à tous-tes et figurant en tant que tel dans le programme de l’association. Parmi les participant-e-s, on compte les familles du collectif, mais aussi de nombreuses personnes extérieures au jardin, attirées par le projet de produire soi-même. Les sessions constituent de véritables moments de rencontres : entre générations, entre connaisseurs et novices ou entre publics, comme pendant l’été 2018 lorsque des jeunes de Stains ont transformé des kilos de groseilles et cassis, avec d’autres jeunes de la maison de quartier de Villetaneuse et des personnes plus âgées, proches du jardin. Le projet attire aussi des universitaires, notamment de Paris 13-Villetaneuse, qui s’intéressent aux pratiques de « glanage » et de cueillette dans nos territoires.
Car si le projet de valoriser des fruits issus du terroir du 93 peut paraître comme une curiosité, il comporte aussi des enjeux relativement importants, à commencer par le fait de produire soi-même et de développer un modèle économique non-marchand et local, à la portée de tou.te.s. Par ailleurs, même si pour des confitures on ne parlera pas de produits sains (attention à l’excès de sucre !), ce mode de production constitue un « circuit court » parfait, échappant à l’industrie agro-alimentaire et préservant les propriétés des fruits. Ces activités sont aussi un moyen de se (re)connecter à des pratiques anciennes de cueillette et de conservation des ressources d’un territoire, et de mieux reconnaître la biodiversité. Se lancer à la recherche d’arbres fruitiers contribue à faire tomber les barrières invisibles qui se dressent dans les villes bétonnées et qui empêchent de créer des liens avec les éléments de nature qui nous entourent. Enfin, ces pratiques encouragent à se poser ces questions qui traversent souvent les ateliers de confitures collectives : pourquoi n’y a-t-il pas plus d’arbres, en particulier des fruitiers, et globalement plus de biodiversité dans nos villes ? Pourquoi consommer des produits de mauvaise qualité, hors saisons, qui parcourent des distances énormes pour venir jusqu’à nous ?
On peut aussi se poser un certain nombre de questions à propos des réalités de notre quotidien dans les espaces urbains d’aujourd’hui, appauvris et totalement isolés, qui nous amènent à concevoir le fait de fabriquer de la confiture soi-même comme une pratique alternative et nécessaire. Il s’agit alors de démultiplier les initiatives d’auto-production et de soutenir les cadres collectifs tels que les jardins en ville, à partir desquels émergent de telles pratiques. C’est ce que nous essayons de faire à partir des espaces dans lesquels nous intervenons avec l’association, et ça n’est pas peine perdu, tant les habitant-e-s s’investissent et participent. N’hésitez pas à nous rejoindre pour les prochains ateliers confitures début octobre, on s’occupera des coings de Villetaneuse !