
Fin septembre se tenait la 6e édition du Festival Plein Champ à Villetaneuse. On voulait vous raconter en quelques mots les graines qui ont été semées et les alliances qui ont été tissées, bien que la richesse des échanges et l’incroyable ambiance qui a fait vibrer les jardins tout le week-end est difficile à restituer sur papier !
Cette année encore, ce festival articulant cinéma et écologie populaire et décoloniale a rassemblé de nombreux.ses habitant.es du quartier et des alentours, collectifs et associations autour d’une programmation mêlant projections, discussions et pratiques collectives en tout genre et pour tous les publics, au sein d’espaces dédiés à l’agro-écologie participative dans les quartiers sud de la commune de Villetaneuse. Véritable temps fort de l’année pour l’association, ce festival est un condensé de ce qu’elle s’efforce de construire tout au long de l’année : des espaces collectifs de transmission, de partage et de réappropriation des savoirs, portés par une écologie populaire et un cinéma de proximité, tous deux ancrés dans les réalités locales.

Après de belles journées de montage, le festival s’est ouvert au public le vendredi 26 septembre en fin d’après-midi avec une programmation déjà bien dense, rythmée par l’engouement collectif pour la première thématique autour des luttes des femmes et minorités de genre pour la terre. Au mandala des plantes médicinales s’est tenu l’atelier sur le soin autour des plantes et de la ménopause; dans la contre-allée s’est lancé le chantier permanent du festival qui consistait en la réalisation d’une fresque collective (sur plusieurs panneaux en bois) pour raconter le jardin et embellir ses entrées; à l’espace création, une nuée d’enfants participaient à l’atelier de land art et d’empreintes végétales dans l’argile.


S’en est suivi une discussion retransmise en direct sur la Radio Tout Terrain, à la croisée de récits et d’expériences de jardinières et paysannes : en rond autour des tournesols spontanés qui poussent au milieu de la place du village, nous étions sept femmes autour de la table à causer agriculture féministe. Cette discussion a donné lieu à de très beaux échanges : Dya, Fatiha, Mina, jardinières du Collectif du Ver Galant ont partagés leurs vécus en tant que jardinieres (des jardins partagés mais aussi de jardin ouvriers et familiaux), paysanne-bergère Kabyle dans le cas de Dya, le rapport entre-deux-terre qui se tisse en cultivant de l’autre côté de la mer et de leurs terres d’origines… Iseult, paysanne du GAEC du Vieux-Saint-Augustin (IDF) a partagé son vécu en tant que paysanne qui habite et nourrit la ville et son engagement au sein de la Confédération Paysanne. Caro, jardinière et aromathérapeuthe, nous a raconté les luttes des femmes et de paysan.es du mouvement des sans-terre au Brésil, sa difficulté à s’installer en tant que paysanne en France, son rapport profond à ses camarades les plantes médicinales… L’occasion aussi de rappeler les contraintes et les spécificités de l’agriculture dans des espaces contraints que sont les zones hyper urbanisées que nous habitons. Et, belle nouvelle, toutes les discussions ont été enregistrées et sont publiées sur notre Soundcloud.

La soirée a pris fin avec la projection de Woman at War de Benedikt Erlingsson, une belle fiction islando-franco-ukrainienne qui a ravi petit.es et grand.es, malgré l’humidité qui s’immiscait dans les corps (heureusement que la grosse caisse de plaid était là) ! Au programme: le sabotage de lignes de haute tension qui alimentent une usine d’aluminium bien capitaliste par une femme très badass, dans le paysage féérique de l’Islande.
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Le samedi 27 septembre, la thématique “Semences paysannes et alimentation dans une perspective décoloniale”, avait pour but d’ouvrir des perspectives critiques autour des semences paysannes et décoloniales pour comprendre comment les graines voyagent, quelles histoires, savoir-faire et recettes elles transportent. En quoi les conserver et les échanger par delà les frontières est un acte de résistance? C’était l’occasion pour partir en balade botanique digestive autour de la parcelle du jardin de plantes issues du terroir africain et dans les parkings alentour pour traquer les plantes qui poussent dans les fissures du béton. Cette balade “graines voyageuses, graines voyagées” nous a permis de réinscrire les migrations des plantes dans l’histoire coloniale. Elle nous a aussi permis de tisser des fils entre les effets d’écho dans la manière dont on traite des plantes dites “exotiques” quand elles prolifèrent de manière incontrôlée, et les discours dominants xénophobes autour des migrations des humain·es. La projection du film La Dernière Graine d’Andrea Gema en début d’après-midi était une manière de planter le décor, avec ce documentaire qui retrace les enjeux liés à l’alimentation et l’agriculture en Afrique au 20e siècle, notamment celui du contrôle des semences. L’après-midi s’est joyeusement poursuivie entre la création d’un fanzine “Graines en Folie”, un atelier pour créer des cartes à planter en papier artisanal en alliant poésie et écologie, un atelier jonglage avec des balles de terres ensemencées, un atelier pour cuisiner avec des farines africaines et penser l’alimentation transculturelle et la santé (de délicieuses gaufres à la farine de patate douce ont été généreusement distribuées aux festivalier.es)…

En parallèle, le nouvel espace “Radio tout terrain”, sous le pommier de l’amitié du jardin partagé, a permis de créer un dispositif inédit : un troc de graine radiophonique sur toute l’après-midi. À cette occasion, de nombreuses semences voyageuses ont été contées, écoutées, échangées… Un puzzle de ces échanges est à écouter ici.

La projection du documentaire Wild Relatives de Jumana Mana a permis de comprendre les enjeux autour des échanges de graines, des banque de semences et du maintien de la souveraineté alimentaire par les graines notamment en territoires ravagées par la guerre. Un pont parfait avec la passionnante discussion qui s’en est suivi sur la “place du village”, en présence de Backo et d’Agathe de l’association A4, Hannane (paysanne de la ferme Sauvages et Cultivées), Jonas (réseau Semences Décoloniales) et Elise Demeulenaere (anthropologue au CNRS) – riche rencontre qui a permis de nous demander ensemble comment libérer les graines et redonner vie aux semences paysannes afin de ne pas dépendre des multinationales de l’agro-industrie ? Quelles démarches collectives pour se réapproprier des savoir-faire évincés par la colonisation et la modernisation agricole? (la discussion a été enregistrée par Radio Tout Terrain et est disponible ici).

Le soir, après de délicieux akras végétariens et le mafé de l’association de maraudes solidaires IDL, a été projeté Entre Tes Mains. En présence de sa réalisatrice, Aurore Émaille, et de la protagoniste principale, la paysanne et semencière Marie, venues toutes deux de la vallée de la Roya, les images ont impressionnées ses visionneur.euses et persuadés de l’importance de préserver ces patrimoines immatériels que sont les graines. La projection en plein air a été merveilleusement précédée d’un concert de la Chorale Choeur de VNR qui a fait résonner nos coeurs.
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La journée du dimanche était elle placée sous la thématique “Corps et territoire**, résister au continuum de la violence”, avec l’objectif principal de faire émerger les résistances contre l’ordre colonial. En effet, face à l’appropriation des terres et leur spoliation par les logiques coloniales et néocoloniales, des résistances existent: terrien.nes et paysan.nes se soulèvent pour préserver les âmes, les arbres et les mémoires que renferment les sols. Être à l’écoute et mettre au travail ensemble les écologies décoloniales dans le(s) contexte(s) politique(s) dans le(s)quel(s) nous nous trouvons nous semble être une obligation collective.
Le programme a débuté par un atelier d’aromathérapie décoloniale, autour des résistantes végétales aux pollutions et de la découverte des alliées végétales des corps vivants dans un territoire pollué. Une après-midi d’ateliers et projections était ensuite proposée, avec un atelier autour du BA.BA de l’(In)justice climatique pour comprendre ce qu’est le racisme environnemental***; la projection de Mascarades de Claire Second, qui conte les résistances de cultivateur.rices de quinoa face à l’imposition d’un modèle agricole moderniste sur les hauts-plateaux boliviens; un atelier santé environnement autour des polluants de notre quotidien; l’écoute du podcast “Imen, une agricultrice face au racisme”; la projection du film Sous les feuilles de Florence Lazare qui entremêle les récits des plantes, la parole des vivant.es, le soin des corps, les esprits des morts et l’empreinte coloniale en Martinique. La discussion “Terres et liberté: luttes anticoloniales et anti racistes pour se réapproprier les corps et les terres damnées” a rassemblé Lilith du collectif COAADEP (collectif des ouvriers agricoles et leurs ayant droits empoisonnés aux pesticides), Tarik et Habib de l’association A4, Shela Sheikh (chercheuse et membre de l’Observatoire Terre Monde) et Djemila Zeneidi (géographe, chercheuse au CNRS). Une dense et passionnante discussion, qui a permis de faire le constat de l’ordre colonial toujours omniprésent dans les territoires dits “d’Outre-Mer”. Notamment aux Antilles, avec l’empoisonnement au pesticide du Chlordécone et la dilution de ce poison dans les terres et les corps. Mais aussi avec l’exploitation des travailleur·euses agricoles étranger·es dans l’agro-industrie européenne — clé de voûte du capitalisme agricole. La destruction des terres c’est aussi la destruction de savoirs faires agricoles, à l’instar de la récente destruction d’une banque de semences palestinienne par l’armée israélienne. L’occasion de comprendre en quoi le modèle agro-industriel occidentale ravage les terres et les corps, en étant un outil de destruction des savoirs faires agricoles et écologiques, de réfléchir à comment réenchanter ces terres damnées, d’intensifier des alliances autour de projets agroécologiques en résistances. Leurs travaux et leurs luttes ont démontré une fois de plus que les questions sociales et environnementales ne sont pas distinctes, et encore moins antagonistes, mais plutôt les deux faces de la médaille d’un modèle qui dévaste les corps et les territoires.

À la nuit tombée, les représentations de spectacle vivant sont venues donner le rythme et le clap de fin du festival. D’abord, le concert de Choffo Blazter avec des reprises de chants populaires version boom boom. Puis, une représentation en exclusivité du spectacle de cirque “Récits oubliés de l’Algérie” par la compagnie Kalash Pédiluve venus dresser une grande structure en acier en plein milieu du jardin: impressionnant ! De quoi clôturer cette sixième édition en beauté !
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Les festivalier.es venus de près ou de loin ont aussi pu profiter tout au long du week-end des rendez-vous habituels à Plein Champ : l’atelier d’auto-réparation de vélo, l’espace bien-être animé par l’association Fun Etre sur l’Île pour s’initier à la naturopathie, la séance de Yoga du dimanche matin, le délicieux stand du collectif du Ver Galant, le stand des tisanes et préparations végétales des champs ouverts et le coin des enfants.
Les associations et collectifs venues présenter leurs activités ont également enrichi le festival, multipliant les approches et les ressources autour des thématiques du week-end. Merci au à l’association A4, aux Scotcheuses, à la coopérative Nyasso, à l’association Kenesô, à l’association PMAV, à l’atelier vélo nomade de Saint-Denis, à Synaps collectif audiovisuel, au journal Le Chiffon, le collectif du COAADEP, la chorale Choeur de VNR, à l’association Fun Être sur île, à l’association Génération Santé Environnement, à l’association Ghett’up, à l’association Gaza Jozour qui n’a pas pu venir en raison de terribles pertes familiales d’un de ses membres en Palestine, à l’association Manaca Aromathérapies, l’Observatoire Terre Monde.
Merci à IDL et Fabrice, l’association Kania et le Bocale pour les délicieux repas savoureux.
Merci à l’association Banlieue Rose pour le stand autour de la lutte contre toutes les discriminations et contre les violences sexuelles et sexistes, en appui au nouveau dispositif de lutte contre les discriminations créé par l’équipe de l’Autre Champ.
Merci à Léa de Radio tout terrain pour la création d’un nouvel espace du festival avec une riche programmation les enregistrements des discussions.
Merci également aux contributeur.ices à la campagne de financement participatif et à l’ensemble des nos partenaires et soutiens matériels et financiers*, et au média Reporterre, notre partenaire presse pour cette édition.
Nous tenions aussi à remercier chaleureusement la super équipe de bénévoles qui était présente du jeudi au dimanche pour installer et décorer les parcelles, tenir le bar, servir les repas, déplacer du gravier et toutes sortes de choses ou monter et démonter des barnums à la chaîne pour se rassurer de l’arrivée de la pluie… Merci pour les belles énergies que vous avez ramenées au jardin, nous n’aurions pas pu faire ce festival sans vous!
Plein champ est surtout une formidable occasion d’expérimenter, de créer de nouveaux liens, de faire se rencontrer plein de nouvelles personnes et de nouvelles idées, ce qui s’est encore illustré à merveille lors de cette édition.
Tout au long du week-end, on pouvait sentir les liens qui se renforcent et qui se trament aux quatre coins du jardin, entre collectifs et personnes qui oeuvrent pour vivre la ville autrement, se réapproprier et transmettre des savoirs, inventer de nouvelles manières de se lier à son milieu et aux vivants…! La suite à la prochaine édition…
* Le festival a été soutenu en 2024 par la mairie de Villetaneuse, l’appel à projet Fabrique d’avenir de Plaine commune, par le dispositif Quartiers d’été -politique de la ville- et par l’APES.
** Cette expression, “corps-territoires”, a été utilisée par les mouvements anti-extractivistes et écoféministes d’Amérique latine pour nous rappeler que les corps ne sont pas des entités différenciées des territoires qu’ils habitent. En d’autres termes, si le territoire tombe malade, les corps qui y vivent tombent également malades.
*** Ce concept désigne le fait que certains groupes sociaux sont plus exposés à des nuisances environnementales (pollution, décharges, usines toxiques, manque d’accès à l’eau potable, etc.) en raison de leur origine ethnique ou de leur statut socio-économique).
